Les jeunes gens d’aujourd’hui ne savent pas vivre sans leurs aises ; ils ne sont pas endurcis aux fatigues, aux privations, par les longs voyages ou les chances de la guerre ; ils n’ont point dormi à la belle étoile, mangé du cheval ou de vieux coqs ; ils n’ont pas couru deux jours et deux nuits pour apporter une nouvelle ; ils n’ont point navigué par un temps d’orage ; ils n’ont point franchi d’éternels déserts ; ils n’ont souffert ni le chaud, ni le froid, ni la faim, ni la privation de sommeil ! Quand je crus mon scénario bien d’aplomb, j’allai trouver mon père, et d’un air assez solennel, je lui demandai s’il avait le temps de m’écouter. Ce n’est pas leur faute vraiment ; on les a élevés à cela, et ils ne peuvent plus se passer du bien-être de leur vie ; et ils se sentent malheureux près de la personne la plus aimable, s’ils ne trouvent pas chez elle le confortable qu’ils ont chez eux ; ils préfèrent au bout d’un certain temps la femme insignifiante où l’on dîne bien, à la femme la plus séduisante dont le cuisinier est douteux, dont le dîner est mal servi.
On ne saurait inventer un soin pour eux qu’ils n’aient eu déjà eux-mêmes… Ils sont à merveille chez eux. Chez d’autres la tendresse sincère. Placé en face d’elle, à dîner, il rencontra plus d’une fois ses regards, et la joie mêlée de tristesse qu’ils exprimaient l’étonna plus d’une fois. Aussi quand ils sortent de l’atmosphère qu’ils ont chauffée et parfumée pour eux-mêmes, ils sont mal, très-mal. Ce qu’il y a de plus beau, c’est la soupière, mais elle n’est pas encore prête. Il sentait qu’une puissance plus forte que sa volonté présidait à sa destinée. Ce brave M. Plichon n’a qu’une préoccupation ; ce sont les dégâts que commettent dans le jardin les poules du voisinage. Le retour inattendu de son beau-père, de sa femme que le matin même il croyait ne plus revoir, cette continuation d’un lien auquel, dans sa pensée, il cherchait toujours un moyen de se soustraire ; ce mariage célébré, mais non consommé ; cet homme qu’il voulait tuer comme un ennemi et qui devait ce jour-là dîner avec lui ; cette femme qu’il aimait, cette Laurence pour qui il avait tout quitté et qui l’avait chassé : ce conflit d’événements avait troublé sa tête. D’abord je ne puis souffrir que la louange, - le plus fade et le plus écœurant des rapports humains, - se permette de toucher aux actes du cœur ; puis, je leur ai fait observer qu’il n’y avait là rien d’héroïque, puisque j’y compromettais seulement la propreté de mes vêtements, et que j’eusse été par trop lâche enfin de laisser cette pauvre femme écrasée sous son fardeau.
C’eût été dommage de faire fondre cette belle argenterie. Il y a eu mariage entre elle et Pierrot, qui est père d’une jolie houppe à poudre de riz, laquelle a été nommée Séraphita. Nous voici donc à la tête d’une copieuse provision. Tête de veau à la Poulette. Non, non ; elle n’est pas encore achevée, vous ne la verrez que demain. Et point du tout, il retrouvait une femme pleine de grâce et d’assurance, l’accueillant avec coquetterie, résistant à ses caprices avec douceur et fermeté, lui parlant presque de ses sentiments pour une autre, qu’il croyait si bien cachés ; l’intriguant comme s’il était au bal de l’Opéra, lui cachant un billet qu’il veut lire, pour mieux piquer sa curiosité ; enfin, à son aise auprès de lui et montrant dans les moindres actions, dans les paroles les plus insignifiantes, un tact, une finesse qu’il n’avait pas encore remarqués en elle : enfin une femme jolie, élégante, coquette, à laquelle il était impossible de parler de séparation.
Il se méprisait, mais il se raccoutumait à ces petites délices, et ce n’était pas sans un souvenir moqueur qu’il se retraçait les fantastiques repas de Pontanges, si froids, si mal servis, si mauvais, dans de l’argenterie terne, vieillie, dans une salle à manger froide, moisie et émaillée de convives si lourds et si ennuyeux ! Cette salle à manger est bien jolie, dit M. de Marny, que l’argenterie commençait à ennuyer. J’en suis bien fâchée, dit-elle en souriant, mais il m’est impossible de vous montrer ce billet. Je regrettai que ce fût le patois, car j’arrivais à le savoir et n’aurais pas moins bien appris si Françoise avait eu l’habitude de s’exprimer en persan. Si la truffe noire supporte la chaleur et se marie parfaitement avec les plats chauds hivernaux, sa cuisson ne doit pas être trop longue ou trop vive au risque d'altérer sa saveur. À la fin, elle alla se reposer à l’angle de la pièce, où pendait une épreuve avant la lettre de la Transfiguration, dans un renfoncement d’ombre devant lequel se croisait sur le tapis la lumière des deux fenêtres ; elle se trouva bien là, et elle crut y avoir rencontré son coin, cet endroit aimé que toute femme choisit où elle habite pour en faire sa place d’adoption, y être heureusement et tranquillement en compagnie d’elle-même, y lire, y écrire, y rêver.